Entretien avec Emmanuelle Jary : les recettes d’un média fait maison

Est-ce que tu peux te présenter ? Es-tu influenceuse, chroniqueuse ou un média à part entière?  

J’ai une carte de presse depuis plusieurs années, je travaille dans la presse écrite essentiellement et en parallèle de ça j’ai créé les vidéos C’est meilleur quand c’est bon parce que j’avais envie de dire des choses différentes et de pouvoir faire le contenu que je voulais, mais au final je dis que je suis journaliste. Alors aujourd’hui évidemment, j’influence au sens propre puisque quand on chronique un resto ça rapporte un certain nombre de clients aux personnes chroniques, mais moi je dirais journaliste, j’aime bien ça.

Pourquoi et comment tu es passée d’un format print à un format digital et réseaux sociaux ?

Alors là coup de tête… Depuis un moment j’avais envie de parler autrement de la restauration, de la cuisine, de la gastronomie. J’avais proposé à des magazines, pour leur version web, de développer des formats, des contenus. J’ai ainsi écrit, proposé des idées que je ne voulais pas présenter. Puis j’ai monté un projet important avec un mag qui au dernier moment m’a plantée. Super déçue, j’ai dit à Mathieu : ”écoute on va le faire nous” ! Mathieu c’est mon mari et son métier c’est de filmer, monter, réaliser. On s’est dit qu’on allait aller dans un restaurant et me filmer comme ça naturellement.

Et là un peu sur un coup de tête on est allé dans un restaurant qu’on ferait plus du tout aujourd’hui mais que j’aime quand même beaucoup parce que c’est un peu bistronomie. Pour la petite anecdote, c’était assez marrant parce qu’on était tout joyeux et on a oublié de filmer certains plats parce qu’on les a mangés avant d’en parler. Du coup on s’est retrouvé à devoir incruster une image de ces plats. Je crois qu’on peut retrouver cette vidéo sur la chaîne Youtube, c’était chez Tomy & Co.

Je disais récemment dans une interview que notre plus grande force c’est que personne ne voulait de nous, parce que si on nous avait ouvert des portes, on n’en serait pas là.

C’est donc sur un coup de tête face à la frilosité des médias ?

Oui c’est ça et un jour je me souviens très bien, il y avait des amis à table qui nous disaient et c’était revenu plusieurs fois « quand tu nous racontes un restaurant, tout de suite on a envie d’y aller alors que quand on lit des articles dans la presse ça fait moins envie”. Ils m’avaient même dit « il faudrait même que tu écrives comme on parle »,

Comment as-tu trouvé le nom de C’est meilleur quand c’est bon ?

Grande question. Je réfléchissais à cette idée toute simple que C’est Meilleur Quand C’est Bon, qu’il vaut mieux manger des choses bonnes que des choses mauvaises. Ça paraît évident et pourtant, au restaurant ou ailleurs, on ne nous propose pas toujours de bonnes choses. Je ne savais pas comment le formuler, et puis un jour, en discutant avec Mathieu , la phrase est sortie. Je me suis dit que c’était drôle tellement c’était évident, tellement évident que c’était presque absurde. J’aimais bien ce côté décalé même si c’était long. Sur le moment, comme on ne savait pas jusqu’où ça allait nous mener, on ne se posait pas non plus trop de questions… Donc on a gardé ce nom.

Les recettes, c’est venu avec le confinement. Peux-tu nous en parler ?

Pendant le premier confinement c’était fermeture, déprime et donc qu’est-ce qu’on va faire ? Depuis un moment, on avait l’intention d’aller voir des restaurants pour filmer des recettes et je me suis dit qu’en fait on allait le faire à la maison. On n’avait pas du tout la cuisine adaptée, moi je n’ai pas fait de CAP cuisine. Mathieu m’a dit “oui mais t’es pas vraiment cuisinière” mais enfin je cuisine quand même à la maison ! Donc là encore les choses se sont faites un peu comme ça, sur un coup de tête.

C’est aussi toujours un peu cette liberté des réseaux sociaux. S’il avait fallu faire des émissions à la télé, jamais tout ça ne se serait fait mais quand tu as ton compte Facebook, tu fais ce que tu veux. Donc on s’est filmé. J’ai fait un tiramisu parce qu’à chaque fois que je fais ce tiramisu, dont j’ai eu la recette par une Italienne, mes amis tombent à la renverse. Il n’y a rien de plus simple. On avait choisi cette première recette parce qu’elle ne nécessitait pas de cuisson. A l’époque la cuisinière était contre le mur, c’était impossible d’avoir une caméra en face de la préparation donc on a fait ce tiramisu dans le salon et on a fait 1 million de vues en un rien de temps ! C’est-à-dire que c’était plus que ce qu’on faisait habituellement avec les restaurants. Donc on était surpris et on en a fait quasiment tous les deux jours pendant le premier mois du confinement puis on a un peu ralenti et ça a été des records d’audience dingue ! On a pas mal de recettes qui ont 4, 5, 6 millions de vues.

Au sortir du confinement on a recommencé à faire le format avec les restos mais les gens nous ont écrit qu’ils voulaient encore des recettes donc on a continué à faire les deux formats.

Et le format a évolué avec l’apparition vocale de Mathieu ?

En fait, il y a eu pas mal de vidéos dans lesquelles je faisais un peu speakerine c’est-à-dire que je parlais face caméra et Mathieu n’intervenait pas. Et comme tous les couples, avec Mathieu, il nous arrive de nous disputer. Michel Thoulouze, ex pilier de Canal+ qui nous suit et nous conseille beaucoup, nous a dit de laisser apparaître ça. Et pendant le confinement ça a beaucoup plu parce qu’il y a plein de gens qui se reconnaissent dans ces petites remarques là, où tu as un des deux qui ne sait pas où se trouve le sel ou le tournevis dans la maison.

Et c’est donc Chez Savy dans le 8eme arrondissement, qu’on a fait la première vidéo où Mathieu me parlait. On a fait beaucoup plus de vues qu’à l’habitude et on s’est dit que c’était intéressant ; petit à petit Mathieu s’est imposé. Maintenant il fait partie à part entière des vidéos: les gens s’adressent à lui, adorent ses commentaires hors champ et il est aussi important, voir plus, que moi maintenant.

Oui c’est un peu l’épice ajoutée sur le plat.

Oui complètement et puis comme il ne connaît pas trop la cuisine, il pose des questions dont les réponses me paraissent évidentes, mais qui ne le sont pas pour tous nos abonnés. Ça s’est beaucoup ressenti dans le format recettes. Non seulement il est drôle, il réalise les vidéos mais il apporte en plus ce côté pédagogique.

C’est quoi la prochaine étape de tout ça ?

Alors on adorerait développer le contenu sur les vignerons et on réfléchit au format. L’autre idée, ça serait un format un peu plus long, plus documentaire, avec une réflexion sur un problème autour de la cuisine, de l’alimentation, de l’environnement. Donc on réfléchit à ces deux formats et thèmes. Mais avec la reprise, on a tellement de demandes de vidéos que ce sera plus pour 2022.

Avec 800k abonnés sur Facebook, 145k sur Instagram et 56,7k sur Youtube vous totalisez le million d’abonnés, comment gères-tu cette communauté ?

D’abord, j’ai beaucoup de messages privés, donc je réponds tout le temps. Peut-être que certains m’échappent mais c’est rarissime. Je réponds et/ou je like les commentaires. Et puis on m’envoie des mails via le beau site internet créé par Little Less Conversation, donc je réponds à tout ça.

Et dans ce lot de commentaires, ça vous arrive d’avoir des commentaires de haters ?

Bien sûr ! Quand les commentaires de haters sont vraiment drôles, on les publie. Par exemple on avait quelqu’un qui disait “on voit que cette femme c’est une grande bourgeoise, qu’elle va tous les dimanches à l’église et qu’elle vouvoie ses enfants”. Donc je publie, je ne peux pas m’en empêcher c’est quand même merveilleux. Il y a des gens qui nous ont dit “vous vous rendez compte que vos croûtes polluent la planète parce qu’une minute de vidéo c’est hyper polluant”… Quand on peut en sourire, on le reposte en cachant les noms bien sûr.

C’est un peu comme dans le Masque et la Plume sur France Inter, ils donnent les commentaires des auditeurs qu’ils soient positifs ou non. Donc je publie aussi ceux des gens qui sont sympathiques. Quand c’est vraiment injurieux en revanche non. C’est vrai qu’on a cette chance d’avoir peu de haters par rapport à l’audience qu’on a.

Tu es souvent contactée par des marques pour travailler, as-tu une collab qui t’a particulièrement plu ou laissé un goût amer?

La grande collaboration pour nous, c’est celle avec la marque Rosière qui pendant un an nous accompagne et sponsorise toutes nos vidéos. Ils adhèrent à ce qu’on fait et nous laissent très libres du contenu, ce qui est essentiel pour moi.

On a aussi des collaborations avec les régions qui nous demandent de filmer sur leur territoire. Par exemple, on va tourner 7 vidéos en Bretagne cet été. En revanche, on refuse toujours quand on nous demande de filmer un restaurant ou un producteur en particulier. Si on fonctionnait comme ça, l’esprit de C’est meilleur quand c’est bon ne serait plus le même.
Ce sont des partenariats chouettes parce que ce sont des gens qui comprennent ce qu’on fait et qui nous font confiance.

Donc non pas de partenariats au goût amer, parce qu’on est très attentifs.. On accepte ce qu’on aime. Si on devait chroniquer des restaurants qu’on n’aime pas on changerait de métier. Je n’ai pas fait ça pour me retrouver dans un repas de presse à faire un portrait d’un chef que je n’aime pas.

C’est quoi les comptes à suivre en bouffe sur Instagram ?

Il y a deux comptes que j’aime beaucoup. @marzincocina qui se définit comme une food and cooking lover. Un jour, elle nous a envoyé des photos, je suis allée voir sa page et je trouve que tout ce qu’elle fait est super appétissant, notamment les pâtes. Moi je ne suis pas très bonne en pâte, pas la pasta mais les pâtes à tarte, à choux… Elle fait plein de choses, on sent qu’elle adore ça, c’est un petit compte que je partage souvent !

Il y a une autre personne qui s’appelle @moniqueduveau qui est plus connue dans le milieu, elle est styliste culinaire. Moi c’est tout ce que j’aime parce que c’est à la fois de la cuisine, de la déco, des adresses. C’est tout un art de vivre et j’adorerais pouvoir faire des mises en scène de tables, de fleurs, de plats comme elle le fait.

Sur Facebook tu es très forte, maintenant tu es sur Pinterest, tu peux nous en parler ?

C’est eux qui sont venus nous chercher parce qu’ils lançaient un nouveau format qui s’appelle story pin qui est génial pour les vidéos de recettes : c’est une vidéo découpée en séquences de quelques secondes et les séquences tournent en boucle tant que tu ne cliques pas. Quand on a fait les recettes pendant le confinement ils nous ont contactés pour qu’on fasse partie du pool de lancement. C’était plutôt sympa, donc on a mis toutes nos recettes sur ce format particulier aussi.

C’est un réseau qui me plaît : j’y ai découvert des comptes très intéressants autour de la cuisine avec toujours de très belles photos. C’est une nouvelle communauté, beaucoup plus féminine. C’est intéressant parce que les recettes qui marchent sur Pinterest ne sont pas les mêmes que sur Facebook, donc on s’adresse vraiment à d’autres personnes. Moi je suis contente de proposer de nouvelles choses !

Si je devais un petit peu synthétiser, je dirais que tout ce que tu nous racontes est très spontané, libre et sincère.

Oui ça correspond à notre état d’esprit. C’est ce qui a plus dans nos vidéos. Par exemple, quand on est venu me chercher pour faire partie du jury des Quintessences sur les épiceries, ils m’ont dit qu’ils aimaient notre ton. Donc il semblerait que maintenant les trois mots que tu viens d’employer sont des choses qui plaisent et il se trouve que ça nous correspond. C’est-à-dire que dès le début je disais Mathieu “Mais qu’est ce que je vais faire?”, ”Comment je vais dire?” et il m’a répondu “sois sincère, fais ce qui te plait”. Et ça a bien marché. Le sentiment qui était à l’origine de C’est meilleur quand c’est bon , c’est l’envie de sincérité et non pas de chroniquer des restos parce que l’attaché de presse a demandé de le faire. Nous on voulait être dans une démarche de sincérité, dire ce qu’on pensait, être dans le plaisir, donc tu as bien résumé ce qui nous caractérise.

Et ce qu’on aime bien c’est le côté spontané, c’est qu’il n’y pas de business plan, d’objectifs…

Si on l’avait fait, d’abord on ne se serait pas lancé. C’est en avançant que le chemin s’est dessiné. Peut-être que si on avait su tout ça, on aurait même eu peur de se lancer, alors que quand on est partis en moto faire notre première vidéo, qu’on a oublié de filmer un plat et qu’on a incrusté une image, on rigolait bien. On continue de bien rigoler. C’est comme ça qu’on fait les choses. D’ailleurs on peut se poser la question, est-ce que c’est vraiment un travail, moi même je me pose la question tellement c’est sympa. Mais ce n’est pas arrivé tout seul. Derrière tout ça, il y a 20 ans de métier de réalisation pour Mathieu , et pour moi c’est 15 ans de reportages culinaires et 10 ans d’ethnologie de la cuisine. Aujourd’hui ça me vient naturellement parce qu’il y a beaucoup de choses qui se sont incrustées en moi.
On a filmé samedi par exemple, des homards au Kari Gosse. C’est une épice qui a été faite au XIX° siècle par un apothicaire lorientais en souvenir de la route des Indes et des premières épices qui arrivaient à Saint-Malo. Tout ça je le savais donc quand j’ai vu homard au Kari Gosse, je me suis dit “plat intéressant”, puis on en a discuté avec le chef qui était ravi. C’est sûr qu’il faut connaître le monde de la cuisine parce que sinon tu es un peu comme une poule devant un jeu de quilles.

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